Levani Botia, le gardien du temple rochelais

 

De retour de blessure après six mois d’absence, Levani Botia semble toujours en forme malgré son âge avancé (35 ans). De gardien de prison à icône du Stade Rochelais, le troisième ligne voit sa vie basculer sur un appel téléphonique. Portrait du Fidjien devenu une légende vivante du stade Marcel-Deflandre.

Le parcours est long, mais l’histoire est belle. Né le 14 mars 1989 à Suva au Fidji, le colosse fidjien sait dès son plus jeune âge qu’il aura un jeu frontal, bestial. Dans un pays connu pour ses pas de l’oie et ses passes après contact. Lui se différencie de ses camarades, n’hésitant pas à aller la tête la première dans ces rucks qu’ils affectionnent tant : « J’ai toujours eu le goût du contact en moi. Dès que j’ai commencé à jouer au rugby, tout petit, mes copains me demandaient pourquoi je jouais comme ça ? Plus je montais de catégorie, plus je m’intéressais aux rucks. J’ai rapidement compris que ça pouvait changer le cours d’un match. Et puis c’est quelque chose que tout le monde peut faire, du numéro 1 au 15. » rapporte t-il dans les colonnes de Midi Olympique.

Durant toute sa jeunesse, Levani Botia était inclassable : « Un de mes professeurs était venu me voir un jour. Je devais avoir 8 ans. Il m’avait dit que ce que je réalisais, il n’y avait aucun autre gamin qui pouvait le faire. J’ai toujours été comme ça… quand j’avais 14 ans, je me régalais à plaquer les gars qui en avaient 18 ou 19. On me disait souvent de faire attention mais je ne me blessais pas. Quand tu as confiance en toi, tu n’as pas de crainte à avoir. » (Midi Olympique, mai 2023)

Une vocation devenue passion

À 15 ans, il décide d’arrêter l’école et de ne pas aller au lycée pour tendre vers son rêve : devenir rugbyman professionnel et vivre de sa passion. « J’étais plus amoureux du rugby que de l’école, dirons-nous. Mon grand-père m’a soutenu, comme mon oncle, mais ils m’ont d’entrée prévenu que j’aurais des blessures, que ma carrière serait courte, que ce serait dur… alors, il fallait que je sois focalisé à 100 % sur cet objectif. ». Le parcours du combattant commence. Durant 6 ans, il fait quotidiennement 30km à pied entre son domicile et le centre de développement de rugby de Suva, où il joue pour l’équipe des City Eagles, car même un ticket de bus à 1$20 est trop cher pour lui.

C’est à ce moment-là qu’il est repéré par le coach du Seven fidjien, le légendaire Waisale Serevi qui va le former et l’inclure à son équipe pour disputer les Jeux du Pacifique en 2011.

En parallèle, pour subvenir à ses besoins, il devient gardien à la prison de haute sécurité de Naboro, à Suva. Comme il le rapporte, toujours dans les colonnes de Midi Olympique : « A cette époque, en jouant aux Fidji, tu pouvais subvenir à tes besoins du quotidien grâce au rugby mais rien de plus. Je m’éclatais avec la sélection à 7 et avec Namosi mais il me fallait travailler à côté. Quand je suis devenu gardien de prison, mes amis et ma famille m’ont demandé si j’allais arrêter ma carrière. Tant que je pouvais jouer, il n’était pas question de dire stop. »

Durant cette période, en sélection, il participe à la tournée mondiale du rugby à 7 avec les Fidji (IRB Sevens World Series), ainsi qu’à la coupe du monde de rugby à 7 en 2013. Avec son club de Namosi, il joue la Digicel Cup, où il arrive jusqu’en demi-finale.

L’appel du destin

Levani Botia s’est toujours promis d’aller le plus loin, le plus haut possible, dans sa destinée de rugbyman. C’était devenu une mission pour le soldat fidjien. Un après-midi de 2014, il reçoit un appel d’un certain Sirili Bobo : « Je croyais que c’était un canular d’un pote. Et là il me dit que l’un des clubs les mieux classés de ProD2 cherche un joueur à mon poste… je ne pensais pas que Bobo me connaissait. Je ne le connaissais pas, d’ailleurs. Pourtant, tout ceci était vrai. Quelques jours après, un gars qui bossait avec Sirili est venu me rencontrer pour avoir ma réponse. ». Tout se chamboule dans la tête de l’international à VII. D’un côté, une vie stable (un travail, une femme avec deux enfants dont un nourrisson d’une semaine) et de l’autre, un rêve, son rêve d’enfant. Un vrai dilemme se présente à lui : « Si je partais en France, je devais quitter mon boulot. C’était un vrai dilemme, car je ne voulais pas perdre mon travail de gardien de prison. Si jamais mon contrat n’était pas prolongé à La Rochelle, qu’est-ce que j’aurais fait ? Je serai rentré aux Fidji et je n’aurai plus rien eu. Comment aurais-je fait pour nourrir ma famille ? Si je disais oui, je n’avais pas le droit d’échouer. Je devais réussir coûte que coûte. »

Sirili Bobo, a fini par le convaincre de répondre positivement à son appel. L’ailier de La Rochelle à cette époque (2014) avait vu l’énorme potentiel de la bête, repéré sur le circuit mondial à 7. « C’était un des moments les plus forts de mon existence. Comme un rêve qui était devenu réalité. » Un rêve qui a failli tourner au cauchemar, puisque lors de la visite médicale à La Rochelle, les médecins voient un problème à un genou… qu’il savait ! « Je ne comptais pas le dire à la visite médicale, mais les docs l’ont vu. Je leur ai expliqué que j’avais été opéré l’année dernière. Ils ont insisté en disant que j’avais un gros problème au niveau des ligaments et qu’il se demandait comment je pouvais jouer comme ça. Je leur ai dit que je ne savais pas, mais que ça ne me gênait pas. Quelques mois après, ils ont décidé de m’opérer à nouveau pour le nettoyer. Je suis content qu’ils l’aient fait, ça me permet de durer. » avoue t-il.

Arrivé comme un inconnu, il s’impose rapidement comme un cadre de l’équipe maritime en renversant tout sur son passage. Il participe à la montée du club en 2014, avec notamment un doublé stratosphérique contre la Section Paloise en demi-finale d’accession, connaît toutes les phases finales avec le Stade Rochelais, puis il sera champion d’Europe par deux fois, en 2022 et 2023.

Dès ses premiers matchs, il a tout de suite été adopté par le public rochelais : « Cela a été comme un coup de foudre. Le club et les supporters ont adoré ma manière de jouer et m’ont proposé un nouveau contrat. Dans la foulée, j’ai annoncé la nouvelle à ma famille. Ma femme a pu nous rejoindre, avec mes enfants. »

Sa femme est devenue sa première supportrice, sans doute l’une des plus belles victoires de « Lep’s ». Ce n’était pas gagné d’avance pour celle qui avait découvert que son mari jouait au rugby, en allumant la télévision, alors que ce dernier jouait… les Jeux du Pacifique en 2011 ! Devenu une figure incontournable de son club de cœur, il nommera sa fille Rochelle en 2016, pour prouver son amour éternel à la ville, comme un certain Filippo Toala, ailier samoan qui a évolué sous le maillot jaune et noir (1999-2004).

À 35 ans, le Fidjien avance toujours, défiant les lois du temps et de l’usure : « Mon secret ? Je prends juste soin de mon corps. Je le rends heureux en faisant attention à ce que je mange, à ce que je bois. Je ne me dis pas que je commence à être vieux. Tant que mon corps aime s’entraîner et jouer, je continuerai. » Cela tombe bien, il lui reste une chose à accomplir : conquérir un bouclier de Brennus, qui lui a déjà échappé 2 fois !

Avec un tel bonhomme sur la pelouse, tout peut arriver. Lui est convaincu d’une chose : le meilleur reste peut-être à venir : « Je suis fier de ce que j’ai fait mais je veux surtout penser à tout ce qui me reste à accomplir. Après, une fois que j’aurai raccroché, je pourrais me retourner et sûrement que je dirais : quel voyage incroyable ! »

Il y a une coutume aux Fidji ; lorsque l’on rencontre une personne « officielle », on lui serre la main et on s’agenouille en guise de respect. Lorsque Levani Botia arrêtera sa carrière, je pense qu’on pourra, non seulement l’applaudir, mais aussi s’agenouiller, devant ce soldat devenu une légende du club.