Romain Sazy : l’éternel shérif

À l’occasion de la 7ème journée de Top 14, le Stade Rochelais reçoit le promu montalbanais. En se plongeant dans l’Histoire, parmi les joueurs passés par le club du Tarn-et-Garonne et de la Charente-Maritime, il y a un nom qui ressort et pas des moindres : le légendaire Romain Sazy. Arrivé sur la pointe des pieds de son sud-ouest natal, jusqu’à devenir une légende du club jaune et noir, retour sur une vie et une carrière bien remplies.

Romain voit le jour le 14 octobre 1986 à Asques, à 40 kilomètres à l’ouest de Montauban, au milieu de la « Toscane française« . Issu d’une famille d’agriculteurs, il développe dès son plus jeune âge un fort attachement à la terre et aux valeurs rurales. Malgré l’importance du rugby dans les zones reculées, qui joue un rôle important dans la vie communautaire, notamment dans le Sud-Ouest de la France, Romain va d’abord s’essayer au football à Lavit (ville voisine d’Asques). Il découvre le ballon ovale, sur le tard, au CAC Castelsarrasin à l’âge de 15 ans. En parallèle, il effectue sa scolarité au collège et au lycée Jean-de-Pardes, toujours à Castelsarrasin.

À 18 ans, il décide de se consacrer pleinement au rugby en intégrant le centre de formation de l’Union Sportive Montalbanaise. À tout juste 20 ans, l’entraîneur de l’époque, Laurent Travers, le convoque pour son premier match de rugby professionnel en Challenge européen contre les italiens de Padoue, le 12 janvier 2007. Les coéquipiers du jeune Romain Sazy s’imposent à Sapiac sur le score de 19 à 7. Quatre mois après jour pour jour, le 12 mai 2007, il dispute son premier match en Top 14 à Castres où les Tarn-et-Garonnais s’inclinent 25 à 13.

Deux ans plus tard, à 23 ans, il signe son premier contrat professionnel. Durant cette saison 2009-2010, l’USM se bat pour se maintenir dans l’élite du rugby français. Romain Sazy commence à se faire un nom. Il est notamment titulaire face au Stade Français Paris, lors de la victoire retentissante des siens 35 à 40.

Un exil forcé dans l’inconnu

Depuis 2009, l’atmosphère est houleuse au sein du club montalbanais. Sur le terrain, tout va bien, mais en coulisse, l’ambiance est tout autre. La gestion du président Patrick Bardot est pointée du doigt, notamment par la mairie de Montauban, à la suite de la construction d’une tribune qui porte son nom. Il démissionnera à la fin de l’exercice 2008-2009, au moment où l’on apprend que le club connaît des difficultés financières qui mettent son avenir en suspens.

Le coup de massue intervient un an plus tard. Même s’il a gagné son maintien sur le terrain lors de la dernière journée face à l’Aviron Bayonnais, le club est rétrogradé en Fédérale 1 par la DNACG à cause des problèmes financiers (N.D.L.R. après enquête, le club était endetté à plus de 9 millions d’euros) et doit déposer le bilan. Elle perd donc son statut d’équipe professionnelle et, par conséquent, les contrats des joueurs sont annulés.

À bientôt 24 ans, Romain Sazy se retrouve donc sans club, mais pas pour très longtemps. Fraîchement promu en Top 14, le Stade Rochelais lui fait signe et il n’hésite pas une seconde à signer dans la cité portuaire. Il s’acclimate très vite, notamment grâce au travail avec les entraîneurs de l’époque, Serge Milhas et David Darricarrère, l’atmosphère lui rappelant celle qu’il a vécu à Montauban. « Avec Laurent Travers, j’ai beaucoup progressé, c’est quelqu’un de très rigoureux, d’exigeant et de qualitatif. Ce que j’ai retrouvé avec Serge Milhas« , confie-t-il.

C’est avec une gêne au pied que Romain Sazy débute son aventure en jaune et noir face au Racing 92 à Colombes, le samedi 11 septembre 2010. Mais son début d’aventure vire au cauchemar, il sort sur blessure au bout de la quinzième minute de jeu. Le verdict est sans appel : fracture du 5e métatarse (os du pied), quatre mois d’indisponibilité. « Ça a été dur, très dur, soupire-t-il. C’était la première blessure de ma vie. Avant, je n’avais jamais raté une semaine d’entraînement. » Il reviendra plus fort que jamais et revigoré, finissant la saison avec 11 matchs au compteur. Malheureusement, le club maritime fera l’ascenseur et redescendra en Pro D2. De plus, le club de Vincent Merling perd son duo Milhas-Darricarrère. Une nouvelle ère se prépare…

L’ère Collazo : la montée en grade de Romain Sazy

Avec l’arrivée de Patrice Collazo à la tête de la caravelle jaune et noir, Romain Sazy devient rapidement un joueur majeur chez les Maritimes. Pendant les années en Pro D2 de 2011 à 2014, « La Saz  » dispute quasiment tous les matchs (86 au total) et s’impose au sein du groupe, notamment dans son rôle de capitaine de touche, comme il l’évoque en octobre 2013 : « Maintenant, tout le monde prend ses responsabilités et décrypte les touches adverses. Rien de révolutionnaire. Patrice a juste trouvé le bon système pour sensibiliser tous les avants. On regarde les lancers et les contres des autres pour savoir qui saute, sur quels blocs. Les ballons sont de plus en plus disputés. Avec 85 %, on peut être satisfait. Mais il reste beaucoup de boulot. »

Il incarne parfaitement les valeurs du club. Le 25 mai 2014, il joue son centième match sous les couleurs maritimes. Comme un symbole, ce sera lors de la finale d’accession en Top 14 face à Agen, au stade Chaban-Delmas de Bordeaux, devant un peuple Rochelais venu en très grand nombre (plus de 20 000 supporters présents). La suite, vous la connaissez : 31 à 22 pour les coéquipiers de Romain Sazy. Il en gardera des souvenirs à vie, comme il le dit 10 ans plus tard au micro de Rugbyrama : « Ce monde, cette affluence, on a mis cinq minutes où le bus roulait à petite allure et on voyait du jaune et du noir partout. »

Après avoir obtenu le maintien avec son équipe la saison suivante, Romain continue de jouer, comme à son habitude, quasiment tous les matchs durant trois saisons. Pendant la saison 2016-2017, grâce à ses performances et à l’impressionnante saison du club à la caravelle, il est sélectionné dans l’équipe des Barbarians Français pour les tournées d’automne et d’été. En novembre 2016, il affronte l’Australie d’un certain Will Skelton, capitaine pour l’occasion, à Chaban-Delmas. Score final : 19 à 11 pour les Baa-baas. En juin 2017, les hommes des entraîneurs Pierre Mignoni et Jacques Delmas affrontent l’Afrique du Sud A, les 16 et 23 juin, à Durban, puis, à Soweto. Romain est remplaçant au premier match (défaite 36 à 28), puis titulaire au second (défaite 48 à 28).

Un club qui grandit et un shérif étoilé

Après une fin d’exercice difficile en 2018, Patrice Collazo décide de quitter le navire, remplacé par Jono Gibbes. Pendant ce temps, Romain passe le cap des 200 matchs en Jaune et Noir. Sous la houlette du néo-zélandais, Romain devient capitaine pendant la belle épopée 2018-2019. Durant cette saison, il joue 34 matchs toutes compétitions confondues, dont 28 titularisations et inscrit deux essais. Avec son club, il rallie de nouveau les demi-finales de Top 14, où les Rochelais sont défaits par le Stade Toulousain, 20 à 6. Sur la scène continentale, ils goûtent à leur première finale européenne, en Challenge Européen, face à Clermont-Ferrand. Ils s’inclinent malheureusement au St James’ Park de Newcastle sur le score de 36 à 16. La saison 2019-2020 sera marquée par l’arrêt prématuré de toutes les compétitions rugbystiques, à cause de la pandémie causée par la Covid-19. Le Top 14 se termine donc à la 17ème journée. Pendant cette saison, Romain reste tout de même titulaire indiscutable en deuxième ligne. Il prolonge son bail jusqu’en 2022.

Plus les saisons avancent et plus la concurrence est féroce. Sazy se retrouve en concurrence avec Will Skelton et Thomas Lavault en 2ème ligne, durant l’exercice 2020-2021. Cela ne l’empêche pas de disputer 23 matchs toutes compétitions confondues, dont 19 fois en tant que titulaire. Le club réalise une de ses plus belles saisons depuis sa remontée dans l’élite du rugby français. En Coupe d’Europe, il vit une belle épopée et va jusqu’en finale, pour la première fois de son histoire, dans le temple du rugby de Twickenham, à Londres. Face au Stade Toulousain, les coéquipiers du capitaine Romain Sazy, titulaire en deuxième ligne avec Will Skelton, s’inclinent 22 à 17. Ils retrouvent ces mêmes toulousains en finale de Top 14, là aussi une première dans leur histoire, où ils sont une nouvelle fois battus, 18 à 8, devant 10 000 personnes dans un Stade de France à jauge réduite, toujours en raison de la pandémie.

La saison suivante voit Romain continuer de fouler toutes les pelouses de Top 14 et de Champions Cup, puisqu’il dispute 34 matchs en tout, dont 22 en tant que titulaire, alternant avec Thomas Lavault au poste de numéro 4. Il est de nouveau appelé à disputer les tournées d’automne et d’été avec les Barbarians Français, contre les Tonga, victoire 42 à 17, à Lyon, ainsi que contre les États-Unis, à Houston, où Romain est capitaine de la sélection. Ils s’inclinent 26 à 21. Sur le plan personnel, Romain atteint la barre des 300 matchs avec le Stade Rochelais en avril 2022 contre l’UBB, marquant encore une fois un peu plus l’histoire du club. Il prolonge par la même occasion d’une saison supplémentaire.
Mais cette saison sera surtout marquée par le premier trophée majeur du Stade Rochelais : la première étoile glanée contre les Irlandais du Leinster, dans les dernières secondes, sur le score de 24 à 21. Romain dispute les six dernières minutes de cette finale irrespirable, dans un Vélodrome incandescent.

« On en a fait du chemin… »

Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin. Le 30 avril 2023, après une troisième qualification consécutive en finale de Coupe d’Europe, dans un Matmut Atlantique de Bordeaux rempli à rabord de 40 000 Rochelais, Romain Sazy déclare au micro de France 2 : « Dans quelques semaines j’arrêterai, alors vivre des moments comme ça avec ce public, c’est exceptionnel. Comme je disais à Uini avant le match, il y a neuf ans nous étions à Chaban, et depuis, on en a fait du chemin… C’est passé tellement vite. On est là pour vivre des moments comme ça. Ça prouve la progression de ce club qui est tellement fabuleux. Je suis fier d’être sur ce bateau. »

Quelques semaines plus tard, dans un des plus beaux matchs de rugby de l’ère moderne, le Stade Rochelais soulève sa deuxième coupe d’Europe, au nez et à la barbe de 35 000 supporters irlandais présents à l’Aviva Stadium, antre du Leinster, qui perd pour la troisième fois consécutive face aux Rochelais en phase finale européenne, sur le score de 27 à 26.

Après ce doublé européen retentissant, Romain et ses coéquipiers ne sont pas rassasiés. « Le plan de marche est assez simple pour moi personnellement : je terminerai au Stade de France, assurait-il après la finale, au micro de Bein Sport. Je mettrai tout en œuvre pour y arriver et je demanderai un petit effort aux copains pour aller au Stade de France ! » Ce Stade de France, ils vont l’atteindre après avoir écarté l’UBB en demi-finale de Top 14 à Saint-Sébastien.

Cette finale de Top 14 édition 2023, chaque supporter de La Rochelle s’en souviendra encore longtemps… et pas pour une bonne raison. Romain Sazy, titulaire et capitaine pour le dernier match de sa carrière, livre un combat âpre, dans une rencontre indécise. Sorti à la 50ème minute, c’est sur le banc que l’inoxydable tarn-et-garonnais voit Romain Ntamack briser ses rêves de doublé, sur une course de 60 mètres à la 79ème minute, qui hantera à jamais les mémoires rochelaises.

Ce match, il ne l’a jamais revu. Il n’en fera peut-être jamais le deuil. Le deuil de sa carrière, en revanche, est fait malgré tout. « Même si ça n’a pas été évident de vider mon casier dans les vestiaires : là, j’ai vécu un moment difficile ; un moment très bizarre, même…« , avoue-t-il.

Aujourd’hui, ce qui compte pour lui, l’homme aux 341 matchs en Jaune et Noir, c’est la transmission de ses connaissances et des valeurs du club, qui sont devenues les siennes, auprès de l’effectif professionnel, tout en assurant un lien avec les Espoirs. Arrivé sur la pointe des pieds dans la cité portuaire, sa légende et son aura sont toujours présents aujourd’hui. Au point que le shérif soit devenu maire de La Rochelle le temps d’une journée…

Crédits photos : Chantal Longo – La Dépêche, Julien Dominique, IconSport, Pierre Meugnié – Agglo de La Rochelle