Tawera Kerr-Barlow : le maestro jaune et black

Cette sixième journée de championnat marque le déplacement des Jaune et Noir chez les Soldats Roses du Stade Français Paris. Une rencontre qui peut marquer les retrouvailles avec d’anciens Rochelais, dont Thierry Paiva, Yoann Tanga, mais surtout avec un joueur qui a été présent pendant les heures de gloire du Stade Rochelais, Tawera Kerr-Barlow. Entre un début rempli de succès en Nouvelle-Zélande, une arrivée difficile en terre maritime, pour en devenir un des leaders, et finalement partir dans la capitale, portrait sur l’immense carrière du demi de mêlée néo-zélandais.

Le petit Tawera est né le 15 août 1990 sur les terres de l’Australie à Melbourne. Il est prédestiné à devenir rugbyman, à l’image de sa mère, internationale australienne de rugby à XV. Pourtant ce n’est pas avec les Wallabies qu’il va écrire son histoire, mais avec les Kiwis. Sélectionné avec les Baby Blacks de Dave Rennie pour participer à la Coupe du monde U20 en 2010, le succès est immédiat. Titulaire au poste de demi de mêlée, il remporte avec ses coéquipiers la compétition, après une large victoire en finale contre l’Australie (62-17).

Ses bonnes performances pendant le tournoi et avec le Waikato Union Rugby lui permettent de rejoindre les Chiefs en 2011. Rapidement, il devient un leader, enchaîne les matchs, et surtout les titularisations. Avec l’arrivée de Dave Rennie aux Chiefs, il est double champion du Super Rugby, en 2012 avec une large victoire face aux Sharks d’un certain Frédéric Michalak (37-8) et en 2013 face aux Brumbies (27-22). Il est appelé par la sélection nationale et participe à son premier match durant la tournée d’automne à Murrayfield face à l’Écosse. Tawera s’installe chez les All-Blacks, et honore sa première titularisation en novembre 2013 face au Japon. Même s’il enchaîne victoire sur victoire avec les Néo-Zélandais, sa titularisation face aux Brave Blossoms est la seule après 14 feuilles de match. Il reste deuxième à son poste, derrière la star du rugby mondial au poste de demi de mêlée, Aaron Smith.

En 2015, il participe à la Coupe du monde mais reste toujours dans l’ombre de Smith, puisque sur six feuilles de match, il porte constamment le numéro 20, avec seulement 78 minutes de temps de jeu cumulé, et une demi-finale où il est hors-groupe. Il se distingue néanmoins lors de l’écrasante victoire face au XV de France (62-13), où il inscrit deux essais en 16 minutes, dont un de finisseur sur une passe de Ma’a Nonu, plaqué par un certain Brice Dulin. Il termine champion du monde, mais son histoire avec les Blacks touche à sa fin. Il ne dispute que sept matchs (pour une titularisation) après son titre.

TKB est peut-être mis à l’écart des plans de Steve Hansen (entraîneur des All-Blacks et ancien joueur du Stade Rochelais), mais il continue d’enchaîner les matchs avec les Chiefs. En mars 2017, le Stade Rochelais officialise son arrivée pour un contrat de trois ans à compter de la saison 2017-2018. Pourtant pressenti pour rejoindre le Rugby Club Toulonnais, c’est bel et bien Patrice Collazo et ses hommes qui le font signer. Un profil qui intéresse beaucoup ce dernier. « Par son expérience et malgré son jeune âge, le rôle qu’il a aux Chiefs aussi, on le sent impliqué dans la conduite du jeu. On sent que c’est un pion essentiel et que c’est l’un des cadres de l’équipe , et car il rentre dans le projet Écrire notre histoire, qui a pour objectif de faire du Stade Rochelais un acteur majeur du Top 14, avec un travail sur la formation, mais aussi sur l’attractivité du club« , déclare l’entraîneur du Racing 92.

C’est en décembre 2017, après la fin de ses obligations internationales, qu’il rejoint le bord de l’Atlantique, pour y voir la victoire bonifiée de sa nouvelle équipe face aux Wasps (49-29). A deux jours des fêtes de Noël, le staff offre comme cadeau aux supporters Rochelais et Bordelais la première fiche de match rochelaise de TKB à Chaban-Delmas, pour une triste défaite (29-19). Un mois plus tard, pendant la réception de Brive, Tawera marque son premier essai sous ses nouvelles couleurs. Un essai typique d’un demi de mêlée, où il fait mine de chercher un coéquipier pour faire la passe en sortie de ruck, et se faufile entre la défense pour marquer. En tant que demi de mêlée étranger, il prend la place du Sud-Africain Enrico Januarie, tout juste parti, et rentre en concurrence avec Alexi Balès. Ce dernier est privilégié à Tawera pour la saison. Du premier match de Kerr-Barlow jusqu’à la fin de cette saison, ce dernier dispute 11 matchs pour 7 titularisations (64% en tant que titulaire), alors que Balès prend part à 15 feuilles de matchs pour 10 titularisations (66% titulaire). Et c’est surtout lors des grands rendez-vous que l’on voit ce choix le plus transparaître, puisque Balès est titulaire sur les trois matchs de Champions Cup, là où Kerr-Barlow à l’instar des Blacks, se retrouve encore remplaçant. Comme disait son entraîneur Patrice Collazo « Il va falloir lui laisser le temps de l’adaptation … C’est un poste décisionnel quand on joue à la charnière, on va le laisser s’intégrer. »

En plus d’avoir fini premier de la saison régulière l’année précédente, La Rochelle a su attirer le demi de mêlée néo-zélandais par son effectif. De par la présence de Paul Jordaan, ancien centre des Sharks, qu’il a battu en 2012, mais surtout de plusieurs néo-zélandais tels que le centre René Ranger, qui arrive la même année, le deuxième ligne Jason Eaton, arrivé en 2014, et surtout de son compatriote champion du monde, arrivé l’année précédente, Victor Vito, déjà devenu un taulier de la troisième ligne rochelaise…

Un postulat permettant de mettre dans les meilleures conditions possibles le numéro 9, comme le souhaite le manager. C’est dans ce contexte que Tawera est appelé pour la dernière fois chez les Blacks, et qu’il joue pour la dernière fois avec le numéro 9 international contre l’équipe de France A. Il bat certains de ses futurs coéquipiers : Dany Priso, Gabriel Lacroix et Vincent Rattez.

Après une première saison d’acclimatation, Tawera, pour sa première saison pleine, commence à faire son trou dans l’effectif Jaune et Noir. La concurrence au poste de 9 avec Alexi Balès est toujours présente, mais au fur et à mesure de la saison, c’est TKB qui devient le titulaire incontesté. Il finit la saison 2018-2019 avec 24 feuilles de match et 17 titularisations. En dehors de sa période de blessure, il porte le numéro 9 pour tous les grands matchs du club, notamment lors des phases finales de Top 14, et la finale de Challenge Cup, première grande finale du Stade Rochelais. Cela peut s’expliquer par l’arrivée du Néo-Zélandais Jono Gibbes en tant que directeur sportif, ou l’arrivée de l’ouvreur néo-zélandais Ihaia West permettant un 8-9-10 100% All-Blacks, et une charnière très dynamique.

Au-delà de ces coïncidences, ou plutôt de la volonté du club d’avoir un projet cohérent sur le long terme, Tawera Kerr-Barlow s’installe par ses capacités. Il joue de son physique et surtout de son explosivité, se positionne en tant que premier attaquant, à l’image de son essai face à Brive en 2019-2020. Il a aussi une grosse vista, lui permettant d’être un gros dynamiteur, avec une grosse qualité de passe (surtout laser), à l’image de ces deux actions coup sur coup face au LOU en 2018-2019. TKB devient un leader de jeu pour les Maritimes. Si devant le club concasse fort, derrière, les Jaune et Noir sont pour la plupart explosifs, à l’image de Levani Botia, Kevin Gourdon, Vincent Rattez, ou Arthur Retiere. Et celui qui allume la mèche de la dynamite rochelaise, c’est lui. Une mèche qui, pendant l’année 2019-2020 n’a pas pu exploser, faute à la Covid-19, qui interrompt la saison de Top 14, mais aussi au club, qui ne sort pas des poules de Champions Cup.

Mais les Maritimes sont restés sur leur faim et vont faire une saison XXL, en allant pour la première fois de l’histoire du club en finale de Champions Cup et de Top 14, à chaque fois contre le Stade Toulousain. Le premier rendez-vous est à Twickenham pour la coupe d’Europe. Dans un match dicté par la pluie et le carton rouge de Levani Botia (27′), Toulouse mène la confrontation (22-12), mais à la 71ème minute, Kerr-Barlow redonne un espoir à ses coéquipiers avec un essai en sortie de ruck. Après un groupé pénétrant, TKB récupère le ballon, essaie de marquer en s’attaquant à son vis-à-vis Antoine Dupont, mais échoue. Après quelques pick and go, Ihaia West se positionne pour récupérer la passe de son compatriote, mais KerrBarlow décide d’utiliser West comme leurre pour aller directement derrière l’en-but. Pour autant, cette belle action ne permet pas aux Rochelais de l’emporter. Rebelote un mois après, en finale de Top 14. À l’image de son club, Tawera fait sa meilleure saison sous les couleurs jaune et noir avec quatre essais (son record à ce moment-là), 26 feuilles de match dont 23 titularisations, et 1671 minutes de temps de jeu. Un record dans sa carrière. Mais ce n’est que le début de sa montée en puissance.

Pour la saison 2021-2022, le Stade Rochelais compte bien goûter à la victoire pour la première fois de son histoire et pour cela, il prolonge Romain Sazy (jusqu’en 2023), Kévin Gourdon (jusqu’en 2024), et Tawera Kerr-Barlow (jusqu’en 2025). Au-delà de la possibilité d’aller glaner un titre, c’est un choix du cœur pour TKB : « Ma famille et moi sommes très heureux de rester ici. Quand on est arrivés en 2017, je ne pensais pas rester tant d’années. Deux de mes enfants sont nés ici, j’ai un vrai lien avec la ville et ses habitants. »  En plus de sa prolongation, il devient centurion le 6 février 2022, lors de la rencontre au Stade Aguilera face à Biarritz. Pour célébrer ça, il marque le premier essai de son équipe. Biarritz, club contre qui il a mis un triplé à domicile, un peu plus tôt dans la saison.

Les matchs s’enchaînent et la fin de saison aussi, avec dans le viseur la Champions Cup. Le demi de mêlée a manqué la seule défaite en poule à Bath, mais il compte bien offrir le titre au Jaune et Noir, en commençant avec Bordeaux-Bègles en 8ème de finale. C’est lors du match retour à Deflandre que Tawera se fait remarquer, avec un essai de finisseur et une passe décisive au pied pour Levani Botia. Un mois après, c’est la réception de Montpellier où sa vista joue beaucoup dans la réussite du match, même si on note une erreur de sa part. Pas le temps de se reposer car la semaine d’après, ce sont les demi-finales à Lens, face au Racing 92. Un match où il sort prématurément à la 53ème minute. En conférence de presse, Ronan O’Gara annonce qu’il est blessé à la main gauche. Une blessure qui clôt une sacrée saison, où il marque sept essais, mais la blessure l’empêche de participer au premier sacre du club à la caravelle.

Même si Tawera dit ne pas mal vivre son absence lors du sacre européen, il va tout faire pour cette fois y participer. Lors de la saison 2022-2023, Kerr-Barlow a proposé ce qu’il a fait de mieux avec La Rochelle. Sa présence et son vice sont des plus affutés, il marque huit essais (son record) tout du long de la saison dont cinq en coupe d’Europe. Un essai de filou devant la ligne face à Gloucester en huitième de finale, un doublé en quart face aux Saracens, avec un essai de feinteur qui finit sur une grosse course, et un essai de finisseur. Rebelote en demi-finale face à Exeter, encore un doublé, avec un essai de finition et un autre où il attaque la ligne. Pour au final, devenir champion d’Europe, après six années sur le sol européen. Mais la saison n’est pas terminée, les Jaune et Noir jouent le doublé. C’est lors de la finale de Top 14 qu’il propose sa plus belle partition. Présent dans chaque ruck, il enchaîne les passes laser et joue de ses crochets pour marquer l’essai de l’égalisation juste avant la mi-temps. Mais cela ne permet pas aux Rochelais de l’emporter. Kerr-Barlow connaît au moins un titre cette saison-là et est salué comme il se doit ! « Pour moi, c’est le deuxième meilleur numéro 9 du monde derrière (Antoine) Dupont. », déclarait Ronan O’Gara après le match contre les Saracens.

La saison qui suit est dans la même veine, TKB dispute 21 matchs en portant 100% du temps le numéro 9, alors qu’il se blesse deux fois durant la saison. En terme de performance, là aussi, on est dans la continuité, avec un Kerr-Barlow qui manque de punch, même s’il est toujours capable de fulgurances. Mais si le club ne retrouve plus le grand Kerr, il reste un des chouchous des supporters. Ces derniers apprennent en novembre 2024 que pour les deux prochaines années à venir, Tawera rejoint la capitale pour le Stade Français Paris. L’origine ? Un refus du club de le prolonger, une situation annoncée d’emblée en exclusivité par notre média : « Tawera s’en va ». Les raisons ? Le salaire, les performances ou encore l’arrivée déjà programmée de l’international français Nolann Le Garrec. Si le Néo-Zélandais n’a pas de mal à trouver un nouveau club (Paris, Bordeaux, ou encore Montpellier se positionnant sur son profil), c’est une situation qu’il a du mal à digérer  « Je n’avais pas de contrôle, la décision était prise … C’est difficile. J’ai passé de belles années ici .. Mes enfants sont nés là, ils sont Rochelais. Ils le seront toujours. La Rochelle restera toujours dans mon cœur. C’est un club spécial. » Après une saison compliquée pour le club, Tawera Kerr-Barlow, pour sa dernière à Deflandre, s’en va en héros en inscrivant un joli doublé, avant d’être ovationné par le public, et par le haka de ses coéquipiers rochelais.

Aujourd’hui, TKB évolue désormais avec le Stade Français et marche sur les pas d’une de ses idoles de jeunesse, Agustín Pichot. Son départ du Stade Rochelais est un crève cœur, comme l’explique Ronan O’Gara : « Tawera est magnifique, c’est un énorme champion, j’aurais aimé le garder, presqu’à tout prix. ». L’ex-champion du monde, aux 185 matchs sur sept saisons avec La Rochelle, a su marquer de son empreinte l’histoire du club. Par son leadership, ses performances XXL et de multiples titres et finales jouées, Tawera Kerr-Barlow a rejoint le panthéon des grands demis de mêlée du Stade Rochelais, pourtant déjà bien rempli.

« La Rochelle c’est une famille avec un public énorme. C’est un club fantastique, chaque année on arrive à créer une très bonne atmosphère avec les joueurs. Au-delà des qualités rugbystiques, c’est très important d’avoir des bonnes personnes. Ma femme et moi nous sentons très bien ici alors c’était facile de rester. »

Tawera Kerr-Barlow, août 2023

Crédit photo : Gabriel Bouys, Stade Rochelais, Didier Von Tillmann, et Getty Images